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Licenciements économiques et PSE : une consultation / négociation tactique chargée d’émotions

8/11/23

Le couperet tombe. Le CSE est convoqué à la réunion R1 de consultation sur le projet de restructuration et de licenciements économiques, avec mise en place d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) : R0, R1, R2, Livre 1, Livre 2, OVE… Pas de panique, le vocabulaire dédié aux PSE s’apprend vite !

Mais les représentants du personnel vont néanmoins vivre une période stressante, pris en étau entre la Direction d’une part, qui leur soutient que les licenciements sont inévitables pour sauver l’entreprise, et les salariés d’autre part, qui veulent savoir s’ils sont sur la liste des licenciés et le montant de l’enveloppe avec laquelle ils partiront.

Or, lors du démarrage de la consultation sur le PSE, rien n’est encore joué, malgré ce que certains prétendent dans l’entreprise. Mais une stratégie s’impose avec chacun dans son rôle : le CSE, et sa Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail, d’une part, les organisations syndicales, d’autre part.

Cette stratégie se mène en trois temps dans le délai de consultation imparti, lequel est définit par la législation ou par l’accord de méthode lorsqu’il existe.

D’abord, l’entreprise a-t-elle le droit de licencier ? Dit autrement, le motif économique invoqué par la Direction est-il recevable en droit pour justifier des licenciements ? Si la réponse est non, c’est de bon augure pour la suite de la consultation et des négociations.

Ensuite, le projet de restructuration proposé est-il pertinent ? Va-t-il permettre d’atteindre les objectifs ? Tous les postes supprimés sont-ils justifiés dans l’organisation future ?

Enfin seulement, les mesures de reclassement interne et externe sont-elles à la hauteur des moyens financiers dont dispose le Groupe et quel sera le montant des indemnités de départ ?

Pressés de tous côtés, la tentation est forte pour les représentants du personnel de passer au plus vite à l’étape 3, sans avoir préalablement étudié les étapes 1 et 2. En entrant directement dans la négociation des mesures de reclassement et des indemnités de licenciement, les partenaires sociaux acceptent, de fait, le principe même de la restructuration, des suppressions de postes et des licenciements. Pour la Direction, l’affaire est alors pliée. Il ne lui reste plus qu’à saupoudrer d’euros chacune des mesures sociales du PSE qui, de toute façon, avait déjà été présenté au rabais pour tenir compte des enchères à venir.

Toutefois, pour négocier, encore faut-il avoir des arguments à faire valoir. C’est à travers l’étude du projet que l’on rassemble les éléments qui vont peser dans la négociation. Ce n’est qu’en donnant de l’importance à cette étape d’analyse que le CSE et les organisations syndicales seront en mesure de s’assoir autour de la table pour discuter à “armes égales”.

Alors reprenons calmement les trois étapes de la négociation d’un PSE

Étape 1 : le motif économique est-il justifié en droit ?

Toutes les entreprises font évoluer leur modèle économique pour s’adapter à l’évolution du marché et aux mutations structurelles de notre société. Mais toutes les entreprises ne peuvent prétendre devoir recourir aux licenciements économiques pour y parvenir. Malgré les assouplissements successifs de la législation pour faciliter les licenciements économiques, ces derniers restent, fort heureusement, encore encadrés par le code du travail. Avant de négocier le montant de l’enveloppe des départs, les représentants du personnel doivent se poser une première question : les licenciements sont-ils justifiés ? Pour répondre à cette question incontournable, les entreprises peuvent faire preuve de créativité et la vigilance s’impose. C’est particulièrement le cas lorsque le motif invoqué est « la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ». En effet, derrière ce motif, on y trouve des perles d’imagination que l’on peut lire dans les notes d’information remises aux CSE

Or, un motif économique non justifié en droit affaiblit la Direction face aux risques prudhommaux, même si le désormais « barème Macron » apporte un soutien non négligeable aux Directions. Dans tous les cas, dénoncer le non-respect par l’employeur de la législation du travail en vigueur reste une information qui mobilisera les salariés et ne mettra pas la Direction dans une situation favorable pour la suite des négociations.

Il existe malheureusement des PSE dont le licenciement est justifié, car la situation de l’entreprise est dégradée. Mais il existe aussi des situations où le motif présente une réelle légèreté, tout en respectant le droit. Tel est le cas par exemple de la baisse du chiffre d’affaires. Là encore, les ordonnances Macron sont venues simplifier les règles. Désormais, il suffit, par exemple, d’une baisse de chiffre d’affaires sur trois trimestres consécutifs dans une entreprise de 50 à 300 salariés pour caractériser des difficultés économiques justifiant des licenciements. Mais combien de fois avons-nous vu une baisse de chiffre d’affaires volontairement décidée par la Gouvernance de l’entreprise, en vue de réorienter sa stratégie et de se recentrer sur ses activités les plus rentables ? Une baisse de chiffre d’affaires ne veut pas forcément dire une baisse de profitabilité et de bénéfices. Là encore, un tel motif doit être dénoncé par les partenaires sociaux lors des négociations.

Lors de cette étape, l’expert-comptable mandaté par le CSE sera fortement sollicité par les représentants du personnel puisque sa mission consiste, notamment, à examiner le motif économique invoqué et sa justification.

Étape 2 : Le projet de réorganisation lui-même, est-il pertinent ?

Au-delà de l’examen du motif économique en droit, il convient, dans un second temps, d’étudier la pertinence des suppressions de postes au regard du projet de l’entreprise. Dans cette étape, l’objectif des partenaires sociaux est de « sauver des emplois ». La compétence des salariés, l’organisation du travail et les conditions de travail seront examinés à la loupe. Si le projecteur est souvent mis sur le sort des salariés licenciés, il ne faut pas pour autant oublier ceux qui restent et qui devront assurer le travail avec un effectif moindre. Le CSE s’appuiera notamment sur les travaux menés par l’expert qui accompagne plus particulièrement la Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail.

Il s’agit également d’étudier la pertinence économique du projet. Permettra-t-il de résoudre les difficultés de l’entreprise telles que la Direction les présente et d’atteindre les objectifs recherchés ? Ou faut-il plutôt s’attendre à une prochaine vague de licenciements ? Il s’agit aussi d’étudier les avantages du projet au regard des conséquences sociales engendrées, au-delà d’un simple calcul de gains financiers et d’économies de charges. L’expert-comptable du CSE est à nouveau sollicité sur ce point.

Étape 3 : Les mesures de reclassements prévues au PSE sont-elles à la hauteur des moyens financiers du Groupe et des enjeux sociaux ?

Un licenciement économique n’étant pas un licenciement pour motif personnel, en préalable, le CSE s’attache à vérifier que certains salariés ne soient pas ciblés pour des raisons autres qu’économiques. Une attention toute particulière est portée sur la construction des catégories professionnelles impactées par le projet de licenciement ainsi que sur les critères d’ordre qui désigneront les « licenciables ». Les représentants du personnel s’intéresseront en particulier au critère de qualités professionnelles qui, outre son caractère parfois subjectif, prime souvent sur les critères sociaux tels que l’âge, l’ancienneté ou les charges de famille.

Ce contrôle préalable terminé, commence la phase de négociation des mesures du PSE : efforts de reclassement interne, engagements pris par le cabinet de reclassement pour aider les salariés à retrouver un emploi, budgets alloués aux formations d’adaptation et de reconversion… et bien entendu, le montant des indemnités de licenciement. Cette négociation sera d’autant plus fructueuse que les étapes précédentes auront été correctement menées.

Et si cela ne suffisait pas, la menace par les organisations syndicales de ne pas signer l’accord sur le PSE peut être activé. Si les négociations avec les organisations syndicales devaient échouer, il reviendrait alors à la Direction Régionale de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DREETS) d’homologuer le PSE après avis (probablement négatif) du CSE La DREETS s’attachera à vérifier la bonne application des catégories professionnelles et des critères d’ordre de licenciement, la qualité des mesures de reclassement, le respect du processus d’information consultation du CSE ou encore le sérieux de l’étude d’impact du projet sur les conditions de travail. La Direction prendra-t-elle le risque de présenter à l’administration un PSE unilatéral, au risque de voir son plan rejeté ? Où optera-t-elle pour des avancées sérieuses dans le contenu du PSE pour arracher la signature des organisations syndicales et présenter un accord signé, que l’Administration ne pourra pas, sauf exception, remettre en cause ?

Par ailleurs, en parallèle de ces trois étapes, la communication auprès des salariés (et pourquoi pas aussi en externe) est également un levier redoutable pour faire valoir le point de vue des représentants du personnel. En expliquant clairement aux salariés les enjeux, la démarche, l’évolution du projet et des négociations, les représentant du personnel mobilisent les salariés licenciables. Ils mobilisent également ceux dont le poste est épargné, car, d’une part, leurs conditions de travail seront impactées, d’autre part, un PSE fait souvent jurisprudence pour les suivants.

La consultation et la négociation d’un PSE se construisent minutieusement. Pour un représentant du personnel, sa pugnacité et sa patience seront mises à l’épreuve même s’il sera parfois difficile de ne pas craquer face à l’avenir de ses collègues qu’il est contraint de négocier avec son employeur.

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