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Le partage de la valeur : un gâteau à découper avec précaution

26/09/23

Le principe du partage de la valeur a pour objet de permettre une juste rétribution des salariés à la richesse qu’ils ont créée au sein de leur entreprise. La découpe du gâteau peut prendre la forme d’une participation aux résultats, d’un intéressement sur des critères de performance ou encore de la Prime « Macron ». Outre l’augmentation des revenus, ce mécanisme permet de motiver les salariés à l’atteinte des objectifs financiers de l’entreprise, puisqu’ils en seront bénéficiaires.

Toutefois, un gâteau mal cuisiné devient parfois petit ou de mauvais goût. Par contre, un gros gâteau que l’on partage est plutôt délicieux. Au concours du meilleur pâtissier, certains décrochent des étoiles et d’autres devront retourner en arrière-cuisine.

Parmi les étoilées, on citera ces quelques grosses entreprises du CAC40 qui font la Une de la presse dès qu’elles annoncent les milliards de résultats et la part de gâteau gargantuesque offerte aux actionnaires. A l’opposé, la presse se fait aussi l’écho de ces entreprises qui ferment où les salariés se battent pour préserver leur emploi. Dit autrement, le gâteau n’a pas le même goût ou la même taille dans toutes les entreprises et certains salariés peuvent se retrouver avec une bouchée de pain.

De plus, autour de la table, certains sont plus gourmands que d’autres. Aviez-vous remarqué que les dessinateurs caricaturent toujours les chefs d’entreprise en les illustrant d’un gros ventre ? La découpe du gâteau peut relever de la négociation (accord d’intéressement par exemple) mais elle peut aussi être laissée à la discrétion de l’employeur. La prime « Macron » de partage de la valeur ne relève pas forcément d’un accord d’entreprise et peut donc être déterminée en fonction de la gourmandise de la Direction. Toutefois, si l’entreprise et ses actionnaires veulent voir le gâteau grossir (et donc leur part également), il faudra néanmoins permettre aux salariés d’être satisfaits (on n’ira pas jusqu’à dire rassasiés !), s’ils veulent maintenir un personnel motivé et fidélisé dans un contexte où le turn-over et les problématiques de recrutement sont des véritables enjeux pour les entreprises.

A l’heure des grandes incertitudes sur l’évolution du coût des matières premières, des marges des entreprises et du pouvoir d’achat des consommateurs, mais aussi face au dépit lié aux superprofits de certaines entreprises, le sujet du partage de la valeur revient en force sur la table du Gouvernement et des partenaires sociaux. Les entreprises sont, en effet, réticentes à augmenter les salaires qui constituent une charge fixe pérenne pour elles, dans un contexte qui peut être fluctuant.  A l’instar de la sous-traitance, des C.D.D. et de l’ubérisation des emplois, nous entrons désormais dans l’ère de la variabilisation des rémunérations. Il s’agit d’adapter les rémunérations aux variations de résultats de l’entreprise. Il s’agit, certes de partager les performances, mais il s’agit aussi de partager les contre-performances.

Les outils de partage de la valeur entraînent ainsi les salariés dans le partage du risque alors même qu’ils n’ont pas de pouvoir de décision, ni aucun droit de veto sur la gestion de l’entreprise. Certes, les plus grandes entreprises disposent désormais de salariés membres du Conseil d’Administration, mais leurs voix restent minoritaires. Le CSE n’a quant à lui, qu’un avis consultatif.

Pour illustrer, l’histoire de l’entreprise S mérite d’être racontée. Il s’agit d’une entreprise fleurissante de l’industrie pharmaceutique. Les salariés bénéficient d’un accord de participation et d’intéressement, la somme de ces deux mesures constitue jusqu’à un quart des revenus qu’ils perçoivent de leur entreprise : 3 mois de salaires, tout de même ! Pour améliorer davantage la performance de l’entreprise, un projet de refonte de la gestion informatisée de la production de médicaments est mis à l’étude. Au vu des premiers tests réalisés, les représentants du personnel émettent de sérieux doutes sur la fiabilité du système et rendent un avis clairement négatif sur le projet. Peu importe, la précipitation l’emporte et le nouvel outil est déployé. Vous imaginez déjà la suite, mais la réalité est encore pire : le fiasco total ! La production est totalement désorganisée jusqu’à ce que les autorités sanitaires stoppent la commercialisation des médicaments compte tenu des risques pour les patients. Au-delà de la gestion des patients contraints de se tourner vers des solutions alternatives auprès des concurrents, plus aucun euro ne rentre dans les caisses, plus de participation, plus d’intéressement non plus. L’équivalent de 3 mois de salaire est perdu qui faisait pourtant partie du « package salarial » promis à chaque salarié à l’embauche. Il aura fallu plusieurs années à cette entreprise pour qu’elle remette totalement en route sa production et retrouve la confiance des médecins prescripteurs.

Sans négliger les outils de partage de la valeur, les représentants du personnel devront donc veiller à un juste équilibre entre rémunération fixe et rémunération variable. Une analyse fine de la situation économique de l’entreprise, des orientations stratégiques et budgétaires et des indicateurs clés devra préalablement être menée pour construire un accord gagnant – gagnant, tout en limitant les risques encourus par les salariés. Quant à la rémunération fixe du salarié, elle doit être et devra rester à la hauteur de ses compétences, le juste partage de la performance de l’entreprise ne pouvant se substituer à la juste rémunération de la compétence.

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